Presse Web : les aventuriers du clic perdu ?

clickbait - I Must Clic

Afin d’éviter toute incompréhension, l’auteur rappelle qu’il ne s’agit pas d’attaquer qui que ce soit, mais de donner son avis, en montrant les différentes orientations prises par la presse web, autant leurs modèles que leurs méthodes, sans oublier les différentes pistes de compréhension. Nous insistons sur le fait qu’il s’agit également de décrire un phénomène d’actualité, et non d’en faire le procès.

Au commencement, il était une crise économique…

Pour tout passionné, toute personne donnant de son temps pour créer un contenu sur le web, être lu, voir son article partagé ou commenté, est une récompense en soi. Écrire sur internet c’est donner son avis, sa vision au monde, on écrit plus seulement pour soi, mais pour les autres. C’est cette volonté de partage qui pousse l’auteur de ces lignes à exprimer son point de vue, évidemment de manière profondément subjective. Cet édito a pour volonté de prendre un sujet large, mais de le ramener au cas du jeu vidéo au travers d’exemples bien connus.

Ce n’est un secret pour personne, la presse internet va mal, très mal même. Après la crise papier et l’effondrement de Future France qui a vu disparaître un nombre incalculable de magazines dédiés aux jeux vidéo, il ne fallait pas s’absenter trop longtemps pour voir les versions web subir de plein fouet cette crise. L’explosion des médias sociaux, cette culture de l’immédiateté, a contraint les sites d’information, et donc ceux dédiés aux jeux vidéo, à remettre en question leurs modèles. L’information va plus vite qu’eux, et en l’absence d’une petite information supplémentaire, d’une exclusivité, le lecteur passe rapidement son chemin. Avec les logiciels permettant de bloquer la publicité, les revenus liés à la publicité se sont effondrés et ne permettent plus aux équipes de vivre grâce à ces rentrées d’argent.

Chiffres américains pour les revenus de la presse web et papier depuis 1950
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Des visions diverses pour un même but : exister.

Certains comme Gameblog ou Gamekult, ont mis en place des systèmes de compte Premium permettant, en échange d’une somme croissante, de supprimer les publicités du site, d’accéder à des podcasts dédiés aux abonnés, voire même de rencontrer les rédacteurs via l’organisation de réunion. D’autres comme Jeuxvidéo.com ont choisi de rester gratuits pour tous, mais ont dû se transformer en profondeur. Avec le rachat par Webedia, le site s’est métamorphosé : nouvelle page d’accueil, implantation des streams en live, personnalisation du contenu, et surtout une WebTV, Gaming Live, rattachée. Cependant,   pour des raisons économiques et logistiques, maintenir le site à Aurillac, qui représentait la réussite décentralisée n’était plus possible, et le site est en train de s’installer dans ses nouveaux locaux en région parisienne.

Mais ce questionnement autour du modèle ne concerne pas que les sites professionnels. Sur Geeksandcom, vous êtes de plus en plus nombreux à nous suivre et le site continue à évoluer. Nous sommes tous bénévoles, et pourtant, la question du financement se pose également pour nous : quel modèle économique suivre, par quels moyens pouvons-nous assurer la maintenance du site et le fait que cela prend de plus en plus de temps pour mieux répondre aux attentes ?  Toutes ces questions dépendent en particulier d’une chose  : LE CLIC.

Car oui, le fond du problème est là, un site ne peut survivre que par son nombre de visiteurs réguliers. Aussi face à cette crise du modèle et la multiplication des sites, il faut repenser les moyens de faire venir le lectorat et de le fidéliser. Certains, ayant une vision élitiste et pointue du médium ne proposeront que des articles de fond, quitte à ne toucher qu’un faible nombre de lecteurs, mais qui pour le coup sont plus fidèles. D’autres ne feront que des nouvelles, permettant le passage de nombreux lecteurs qui repartiront une fois leurs nouvelles lues. La plupart cependant adoptent un entre-deux : des nouvelles régulières, de l’information fraîche, et puis des articles de fond. La concurrence est rude, alors il semblerait que parfois les lignes éditoriales se veulent de plus en plus racoleuses. Et si je comprends la démarche, cette fameuse question de survie, elle me semble souvent assez « borderline ».

Vous en avez forcément vu passer sur les réseaux sociaux, ces fameux titres « Vous ne devinerez jamais ce qu’il arrive à cet homme… CLIQUE ICI !! OUI LA !! ». J’ai le sentiment que ce syndrome du titre ne disant rien et n’ayant souvent pas grand-chose à dire touche de plus en plus une presse web jeux vidéo qui se cherche. Des titres dont on enlève les noms ou annonçant une exclusivité pour finalement ne dévoiler qu’une rumeur ou un « article en cours de réalisation ». La recherche permanente du Buzz afin d’amener des visiteurs me fait penser à cette expression « le poisson qui étouffe sur la berge remue plus que celui vivant dans sa rivière ». La presse web est-elle à ce point malade pour être obligée de « racoler », et j’exagère volontairement, pour continuer à avoir des visites ? Je ne compte plus le nombre de « Breaking news super-exclusives » n’annonçant qu’une future annonce ou une actualité que tout le monde a reçu… Et je ne parle pas du conditionnel oublié pour faire croire à la réalité d’une information qui n’est qu’une rumeur!

Et maintenant, on fait quoi ?

Le contenu de qualité, la véracité des informations, la volonté de proposer des analyses scrupuleuses, débattues ne suffisent-ils plus à obtenir une légitimité, une reconnaissance et un public ? Que dans ce monde où tout se sait en 30 secondes, on use de ces titres aguicheurs pour amener le lecteur et ensuite lui montrer qu’il y a du travail ne me pose pas de problème, ce qui me pose problème c’est l’abus de cette méthode, où tout se prête au Buzz, où la vérification de l’information passe en second plan. Souvenez-vous l’annonce bidon du décès de Martin Bouygues, relayée en trois minutes dans le monde entier, monde qui s’est senti bien idiot d’avoir relayé sans précaution une information fausse.

Le jeu vidéo (comme d’autres passions) commence enfin à obtenir ses lettres de noblesse, on en parle beaucoup, en bien ou en mal, mais on en parle, et l’existence du débat prouve bien l’intérêt du grand public. Encore une fois, les sites ne sont pas les seuls à blâmer. S’ils le font c’est qu’il y une demande autour du Buzz, et la réalité économique de la presse internet rend obligatoire de trouver toutes les astuces possibles pour avoir des visites et ainsi : survivre, car le clic, c’est la vie. Mais est-on obligé de survivre en nivelant par le bas, de se plier aux bas instincts de l’internaute moyen ? C’est à tous de poser une réflexion sur ces questions, aux lecteurs, en se demandant ce qu’ils veulent vraiment, de l’information solide et l’honnêteté intellectuelle, ou une nouvelle mal vérifiée, mais chaude, ou encore ces nouvelles à clics ne disant rien avant d’être arrivées sur la page du site auteur ? C’est aussi aux sites, aux rédacteurs, et je m’inclue dedans, de se demander quelle dose de news type « buzz » est acceptable, de se demander comment proposer au lectorat un contenu de qualité sans sacrifier l’audience nécessaire à la survie des supports, pour ne pas tomber au niveau zéro de l’information.

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Mallory Delicourt
Futur professeur d'Histoire-Géo en région parisienne et passionné des processus de création des jeux vidéo. Également grand consommateur de sport collectifs, de jeux vidéo et de tout ce qui touche à l'Histoire et à la politique.