Retour sur la MasterClass de Marcin Iwinski (CD Projekt) à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris

Marcin Iwinski - CD Projekt - The Witcher

La Cité des sciences et de l’industrie (Paris),  Jeux Video Magazine et Orange organisaient vendredi dernier une Masterclass consacrée à Marcin Iwinski, cofondateur de CD Projekt Red et créateur de The Witcher. Nous avons eu la chance d’y assister et de passer une bonne soirée en sa compagnie. Voici notre compte-rendu.

Biographie de Marcin Iwinski

Le bonhomme a l’air parfaitement sympathique, mais paraît également être un businessman coriace. Marcin a commencé par nous raconter son enfance à Varsovie dans une Pologne marquée par le socialisme et le poids écrasant du voisin soviétique. Malgré tout, son enfance dénote de celle d’autres enfants, puisque son père, réalisateur de documentaires, reste l’un des rares à pouvoir voyager à l’époque. De retour de l’un de ses voyages, le père de Marcin lui rapporte une ZX Spectrum et offre donc un premier contact avec les jeux vidéos. Son premier émoi lui vient de l’Amiga et de l’un de ses jeux mythiques, Total Renegade.

À l’époque, le jeu vidéo étant rare et cher, il ne circule quasiment que des copies étrangères pirates. Marcin décide donc d’échanger et de vendre ses jeux sur les marchés de Varsovie afin de pouvoir jouer régulièrement à de nouveaux titres. Au lycée, il rencontre Michal Kicinski qui lui aussi vend des jeux sur les marchés et ensemble, il décident de monter une société d’import. Pour contrer le commercer de jeux piratés, les deux associés vont proposer une technique agressive : les jeux seront entièrement localisés et vendus moins chers que les versions piratées. En 1994, naît donc CD Projekt Red.

Baldurs Gate - BiowareL’entreprise explose alors qu’elle a négocié sec avec Bioware la possibilité de localiser Baldur’s Gate, autre jeu mythique occidental pour de nombreux rôlistes. La masse de travail est impressionnante, le jeu compte 1500 pages de script et CD Projekt embauche 40 comédiens durant cinq semaines pour proposer une version entièrement localisée et même les personnages non jouables des zones les plus reculées sont localisées. Le but est d’écouler 3000 copies du jeu en Pologne. Le succès est démesuré : le premier jour, 1800 copies trouvent déjà preneurs. La société commande alors d’autres copies et loue un entrepôt afin de satisfaire les grossistes qui affluent.

Cependant, l’entreprise est gênée dans son développement par une économie postcommuniste en pleine mutation. Les procédés sont compliqués, les douanes bloquent parfois les marchandises plusieurs semaines, et la poste locale n’est pas fiable. Baldur’s Gate étant un succès commercial en Pologne, Interplay souhaite que le studio travaille sur Dark Alliance, un autre épisode de la série. La Pologne étant à 90% acquise au PC, Interplay propose à CD Projekt d’en faire le portage, mais de sombres histoires de droits obligent Interplay à annuler le portage.

La création de The Witcher comme acte fondamental pour le studio CD Projekt

Marcin et Michal décident alors de faire eux même leurs jeux, achètent les droits de The Witcher et s’attaquent au développement avec 5 personnes dès 2002. A l’E3 2004, lors de présentations à l’écart du Convention Center, l’équipe réussi à attirer l’oeil des médias. En 2007, après 5 ans de développement et une équipe ayant gonflé jusqu’à 80 membres, The Witcher sort sur PC. Un portage console était prévu en partenariat avec un studio lyonnais, mais cela n’a pas fonctionné et mis CD Projekt en difficulté. Son éditeur, Atari supporte les coûts de cet échec et le studio s’engage à tout rembourser avec The Witcher 2 : Assassins of Kings. Le jeu fait un carton, avec lors de la phase de distribution principale 1,7 million de copies écoulées. C’est à travers ce jeu que Marcin Iwinski pense transmettre une part de la culture polonaise, avec l’ambiance des villages, la musique et ses nombreuses forêts.

Il constate également que sans trop y avoir pensé, une partie de la mythologie slave se retrouve dans le jeu, bien que détournée et adaptée. L’ambition était un jeu mature, pour des joueurs capables de discerner les enjeux du scénario, tout en respectant les fans hardcore de la saga littéraire. Il est intéressant de noter que Sapkowski n’a rien dit des adaptations avant d’apprendre le succès critique et commercial du jeu. Lors d’une question posée après la Masterclass, il a répondu que c’était un vieux monsieur dépassé par ce qu’est le jeu vidéo, mais qu’après l’épisode 2, il a écrit au studio pour les féliciter de l’adaptation rendant honneur à son œuvre.

Le studio est devenu tellement populaire que le Premier Ministre leur a demandé une version collector de The Witcher 2 à remettre à…Barack Obama, en tant qu’objet représentant l’innovation et la créativité polonaise. Le studio l’a fait en croyant à un canular, mais finit par apprendre que c’était bien vrai et que le Président des États-Unis possède leur jeu.

 « On va faire un grand jeu et un grand jeu sort fini » – Marcin Iwinski

La suite s’annonce grandiose pour le studio. The Witcher 3 Wild Hunt est extrêmement attendu, comme le confirme le prix du public aux Video Games Awards. Il arrive dans six mois (au lieu de deux, aidez-moi, je suis en pleine dépression !). La carte du monde s’annonce 35 fois plus grande que celle de l’épisode précédent et afin de ne pas perdre les joueurs, lorsqu’on relancera la partie nous aurons droit à un « Précédemment dans The Witcher » permettant de se resituer peu importe le délai entre deux sessions. Marcin évoque cette fonctionnalité après une certaine frustration sur Skyrim auquel il avait rejoué quelques mois après l’avoir fait, et dans lequel il s’est senti perdu.

The-Witcher-3-Wild-Hunt

Il en a profité pour s’excuser une nouvelle fois du report du jeu, mais explique qu’il est hors de question que les joueurs soient des bêta-testeurs et par respect il veut sortir un produit aussi fini que possible. Il a déclaré que le jeu était presque fini, en off il a avoué que le jeu était fini à 95% et que le gros du travail se situait désormais sur le monde systémique, c’est à dire comment les monstres, les PNJ, la nature évolue hors des actions du joueur et de manière quasi autonome.

Deux cents personnes travaillent actuellement à la résolution des bugs contenus dans le jeu. Tout semble donc indiquer que le 19 mai soit cette fois la date définitive de sortie [touche du bois]. Malgré tout, il a confirmé que cet épisode serait le dernier concernant The Witcher. La tristesse à alors envahi la salle.

Quel avenir pour CD Projekt Red ?

Rapidement, CyberPunk 2077 à été évoqué, mais le jeu ne semble pas prêt du tout à être montré. À vrai dire, il semble même que le développement n’ait pas encore débuté. Malgré tout les ambitions semblent là, et leur test d’attente, sous la forme du trailer a dépassé leurs attentes d’1 million de vues en s’approchant des 10.

L’adaptation du jeu de rôle papier de Mike Pondsmith semble donc bien sur les rails, mais l’énergie du studio est tout entière dédiée à The Witcher 3 jusqu’au mois de mai.

[youtube http://www.youtube.com/watch?v=P99qJGrPNLs]

Quant à GOG.com (Good Old Games), il a rapidement parlé de la success story de cette plateforme proposant de vieux jeux vidéo, quelques récents également, sans DRM (restriction de jeu, d’installation ou de propriété). GOG propose une philosophie qu’on sent héritée du vendeur de marché qu’il était : si les jeux sont au prix juste, sont bons, et que le contenu est présent il se vendra. Il faut selon lui « non pas restreindre le jeu pour être sûrs d’avoir une copie officielle, il faut convaincre les joueurs d’acheter celle-ci ».

GoG-Com Good Old Games

Cette philosophie donne sans aucun doute son image de Chevalier Blanc à CD Projekt. Par exemple, suite à une question sur le modding (création par les joueurs de contenus de gameplay, d’améliorations graphiques, etc. pour un jeu), Marcin a semblé admettre la possibilité de moder The Witcher 3 sur PC en estimant que si un joueur trouve le contenu trop léger, pourquoi freiner une créativité pouvant être inspirante même pour les développeurs.

Même si aujourd’hui il s’est un peu distancié du studio, duquel il est toujours CEO et cofondateur et pour lequel il participe aux grandes décisions, on a senti un homme passionné par ce qu’il fait, porteur d’une vision du jeu qu’il semble posséder depuis son adolescence. Et vu le nombre d’applaudissements lors de la clôture de la MasterClass, son interview n’a pas entaché sa réputation ni celle du studio. Nul doute que The Witcher 3 sera un carton planétaire et qu’on en saura bientôt plus sur CyberPunk 2077.

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Mallory Delicourt
Futur professeur d'Histoire-Géo en région parisienne et passionné des processus de création des jeux vidéo. Également grand consommateur de sport collectifs, de jeux vidéo et de tout ce qui touche à l'Histoire et à la politique.