Critique de You are never weird on the internet (almost) de Felicia Day

C’est l’histoire d’une jeune femme rousse, très angoissée par la vie, et qui tente de préserver tant bien que mal la cohésion de sa guilde pourtant très agitée. Ce pitch, c’est celui de The Guild, une web-série que le jeune moi, alors chef de guilde sur le semi-MMO Guild Wars (Oui j’étais contre le principe de l’abonnement mensuel de World of Warcraft… et le suis d’ailleurs toujours) découvre sur YouTube en 2007. Ce fut mon premier contact avec Felicia Day, la jeune femme rousse en question, qui allait par la suite être proclamée “reine des geek” par la presse avant de devenir une sommité du monde geek et une chef d’entreprise quand elle fonde la chaîne Geek and Sundry. Comme je le disais dans un édito (très bien écrit, si si je vous assure) il y a quelques mois, qu’on aime ou pas Felicia Day, il est indéniable qu’elle a assisté à l’émergence du media YouTube mais aussi de la Culture Geek sur le web telle qu’on la connaît. Quand elle a annoncé qu’elle allait publier ses ”mémoires”, intitulées “You are never weird on the Internet (almost)”, j’y ai vu l’opportunité d’avoir un témoignage privilégié sur l’émergence du contenu web et de la Culture Geek. Depuis, j’ai lu ledit livre, et j’ai tant de choses à vous dire…

Un style dynamique, drôle et survolté

Quand on sait qu’on s’apprête à lire les mémoires d’une star du web, on peut légitimement se poser la question du style d’écriture. Maîtriser sa présence en vidéo, son élocution, sa gestuelle, sont une chose. Raconter sa vie sur plus de 250 pages en est une autre. Le mélange Star du web / Autobiographie n’a pas toujours été des plus heureux.

Pourtant Felicia Day s’en sort très bien. Ce n’est pas de la grande littérature, et ça n’a jamais prétendu en être, mais le style de Felicia Day est très agréable à lire. Si vous avez déjà regardé The Guild ou êtes passé sur Geek and Sundry, vous savez à quel point la dame est hyperactive et angoissée. Ce tempérament se retrouve complètement dans ses mémoires. C’est vif, nerveux, ça part dans tous les sens mais c’est toujours plaisant. Felicia Day réussit également à rester drôle et décalée même quand les sujets sont sérieux voir graves (son addiction, sa dépression, etc).

Il faudra tout de même noter que le livre n’est pour l’instant (et à mon avis pour encore quelques temps) disponible qu’en anglais. Toutefois, c’est un anglais très accessible pour qui maîtrise un minimum la langue de Shakespeare.

C’est en enchainant les conventions après la première saison de The Guild que Felicia Day s’impose petit à petit comme la Reine des Geeks dans la presse

Découvrir la véritable Felicia Day, une jeune femme brillante mais fragile

You are never weird on the internet (Almost) , c’est avant tout l’occasion d’en savoir plus sur Felicia Day, la personne. Précisons d’abord que le livre est écrit de sorte à ce que si vous ne connaissez pas la dame en question, vous ne serez pas perdu !

N’étant pas un fan hardcore (malgré ce que pourrons vous dire tous les autres collègues de la rédaction) de la “Reine des Geeks”, j’ignorais une grande partie de ce qu’elle nous raconte ici. Sans être totalement extraordinaire, la vie de Felicia Day n’en est pas moins atypique et explique en grande partie la femme qu’elle est devenue, mais aussi ce qu’elle a créé avec The Guild et Geek and Sundry. J’ai vraiment apprécié de découvrir son parcours au fil des pages, un parcours qui m’a rappelé ma propre expérience sur certains aspects, et qui parlera à tous les geeks des années 90 / 2000.

On découvre ainsi une jeune surdouée scolarisée au domicile familial par une mère un peu hippie sur les bords. Elle rencontre ainsi ses premiers vrais amis et flirts sur les tous premiers forums d’un internet qui se démocratise tout juste. Travailleuse obsessionnelle, elle s’acharne à réussir parfaitement ce qu’elle entreprend “pour ne pas décevoir”. Elle termine ainsi dans les plus jeunes et les plus brillants élèves de sa promotion quand elle étudie la musique (le violon exactement) mais aussi les mathématiques sur 2 masters en parallèle. Un acharnement et une envie de plaire qui la caractériseront toujours, au point de la ronger littéralement tant elle manque de confiance en elle.

C'est sa web-série The Guild qui révèle l'actrice
C’est sa web-série The Guild qui révèle l’actrice

On reconnait aussi la gameuse, qui malgré sa sensibilité aux jeux de rôle, aux jeux vidéo et à l’univers geek online, ne plonge que très tard dans World of Warcraft, le MMORPG de Blizzard qui bouleverse le microcosme geek de l’époque. Sa carrière d’actrice, sa véritable passion, ne décolle pas et alors qu’elle découvre l’envers du décor d’Hollywood, elle sombre petit à petit dans l’addiction à WoW où elle peut incarner un personnage qu’elle maîtrise totalement, utile, apprécié par sa guilde, et puissant. Elle compense ainsi artificiellement pendant plus d’un an son échec réel en engloutissant des journées entières dans son monde virtuel.

C’est l’écriture et la création de ce que l’on connaît qui la sauvera puisqu’elle décide enfin de briser la spirale infernale en écrivant… sur les joueurs de MMORPG. The Guild, la web-série qui la révèle, est née. Choix de la diffusion sur YouTube, alors media naissant, financement des fans à une époque ou Kickstarter n’existe pas, partenariat avec Microsoft, etc : cette partie est probablement la plus intéressante pour qui veut connaître les coulisses de la célèbre web-série. Felicia Day y investit énormément d’elle-même, ne veut pas décevoir même si tout au long de l’écriture des scénarios des 5 saisons, elle ne croit pas à son propre talent. Alors qu’elle fonde Geek and Sundry, sa chaîne de contenu geek (que je vous conseille chaudement), elle rechute dans la dépression avec l’arrêt de The Guild, persuadé qu’elle ne réussira plus jamais à satisfaire les fans.

Elle raconte ainsi crûment comment elle a sombré dans la pire période de sa vie. Elle se brouille avec ses meilleurs amis et associés (dont Kim Evey, co-créatrice de The Guild et co-fondatrice de Geek and Sundry), elle enchaîne les crises d’angoisses, ne dort plus, et développe même de graves problèmes de santé à cause du stress qu’elle s’impose. Tout est détaillé de manière très sincère, sans occulter le côté psychologique, voir psychiatrique de son mal-être, à tel point qu’on comprend que le livre est pour elle une véritable catharsis. Elle finit par se reconstruire lentement mais sûrement pour devenir la femme qu’elle est aujourd’hui, plus gaie, plus affirmée et ayant appris à moins s’impliquer émotionnellement dans son travail.

You are never weird on the internet (Almost) c’est d’abord ça : l’histoire d’une jeune femme brillante, fragile, avec un cruel manque de confiance en elle et un besoin maladif de réussir et de plaire (parfois jusqu’à la névrose).

La star du web n'hésite pas à parler longuement de ses grosses phases de dépression
La star du web n’hésite pas à parler longuement de ses grosses phases de dépression

Un vibrant appel à la créativité qui donne envie d’assumer son côté weird

You are never weird on the Internet (almost), c’est aussi un livre qui donne envie de s’assumer en tant que geek, en tant que personne que beaucoup qualifieraient de “bizarre”. Les mémoires de la “reine des geeks” sont un véritable appel à votre créativité et à profiter du formidable espace de liberté qu’est internet pour la dévoiler au monde.

Le livre ressemble parfois à s’y méprendre à un de ces livres très américains de motivation qui vous explique que vous êtes quelqu’un d’extraordinaire et que rien ni personne ne peut vous prouver le contraire. Si j’ai toujours trouvé ces livres un peu ridicules, je dois avouer que You are never weird m’a réellement donné envie de me lancer sur internet et de créer toute sorte de contenus.

L’expérience de Felicia Day est à ce titre très enrichissante : elle est une jeune femme surdouée et geek qui ne rentre pas dans le moule d’Hollywood et va utiliser le web ainsi que les réseaux sociaux pour mettre en avant ses idées et créations. Elle a réussi à percer grâce à internet, et elle l’affirme plusieurs fois dans ses mémoires : Internet est encore aujourd’hui un des rares endroits ou on peut exprimer sa créativité sans avoir l’air d’un fou !

Felicia Day - Cosplay
Après avoir lu son livre, on a soudainement envie de faire des vidéos et de créer du contenu sur le web !

Un point de vue intéressant sur la naissance du contenu web

Ceux qui ont lu mon édito en mars dernier le savent, ce que j’attendais le plus des mémoires de Felicia Day, c’est un regard privilégié sur la naissance du web moderne, des réseaux sociaux et de plateformes comme YouTube.

Pour une grande partie, ma curiosité est satisfaite. En effet, toute la partie sur l’addiction à World of Warcraft raconte à merveille l’explosion du tout online et de l’importance de l’aspect social dans les jeux vidéo. Day raconte ainsi à quel point il était étrange de parler pour la première fois à sa guilde via Teamspeak alors que cela faisait des mois qu’ils jouaient ensemble. A l’heure ou les consoles de salon intègrent désormais pleinement cette composante sociale, il est intéressant de voir une époque ou le “jeu à plusieurs” commence réellement à décoller.

La création, production et diffusion de The Guild reste la partie la plus intéressante. La web-série regroupe tout simplement tous les éléments de la création de contenu sur internet, éléments communément répandus aujourd’hui mais réellement nouveaux à l’époque. YouTube n’a que 2 ans au moment où la petite équipe de The Guild décide, face aux refus des studios Hollywoodiens, de choisir la plateforme de vidéo en ligne pour diffuser la série. Si d’autres ont déjà fait ce choix avant, The Guild est bien la première web-série à percer et à atteindre la plupart des geeks de l’époque (y compris votre serviteur). C’est aussi un des premiers contenus à être financé en partie par ses fans, à une époque où même Felicia Day estime que c’est ridicule et que ça ne marchera jamais. Enfin, c’est aussi grâce aux réseaux sociaux comme Facebook, Twitter (sur lesquels Felicia Day est très présente et prend le rôle de communicante de l’équipe) que le bouche-à-oreille qui rend la série célèbre a lieu.

You are never weird on the internet (Almost) offre un véritable regard unique sur l’émergence du web “créateur de contenu” où tout se fait online, du financement à la communication en passant par la diffusion. Rien que pour cela et même si vous n’êtes pas fan du personnage Felicia Day, ses mémoires valent le coup d’être lues.

The Guild marque l'explosion des web-séries sur YouTube
The Guild marque l’explosion des web-séries sur YouTube

Un goût de trop-peu ?

Il y a cependant un petit bémol. The Guild offre en effet un regard passionnant sur la naissance du web “social” tel que nous le connaissons, mais il y a une chose qui m’intéressait plus encore et qui est moins bien traitée : la création de la chaîne YouTube Geek and Sundry. Soyons très clair, cette chaîne est pour moi ni plus ni moins qu’un des exemples de création de contenus geeks sur le web à ce jour.

C’est à mon sens le principal défaut du livre. Geek and Sundry est une importante chaîne YouTube très populaire outre-atlantique (elle n’est malheureusement pas encore très connue en Europe). Portée (entre autres) par Felicia Day et Will Wheaton, elle a rencontré un franc succès au point d’être rachetée par les studios Legendary Entertainment, connus pour leur culture geek, qui souhaitent promouvoir les contenus de la chaîne sur le petit écran.

Malheureusement, la création de Geek and Sundry correspond également à la deuxième grosse dépression de Felicia Day. Une période pas très heureuse qu’elle raconte longuement et avec moult détails. C’est parfait pour connaître le personnage, mais cela occulte assez largement la création et le développement de sa chaîne. Elle explique très rapidement qu’il s’agissait de monter une véritable entreprise et que cela changeait radicalement par rapport à la création d’une simple web-série, sans toutefois rentrer dans les détails. C’est très dommage car cela manque franchement. Mettre en avant toute la création de ce qui est purement et simplement un studio de création d’émissions destinées au public geek aurait pu être passionnant et très enrichissant. Après l’émergence du web moderne, elle aurait ainsi pu nous raconter son expérience de chef d’entreprise sur ledit web. Peut-être dans un prochain livre ?

Conclusion

Nous arrivons enfin à la conclusion de cette longue critique, mais il y avait beaucoup de choses à dire. Et je ne vous ai pas parlé de son expérience du GamerGate, dont on sent qu’elle a été rajoutée à la fin du livre sans trop de liens avec ce qui précède. You are never weird on the internet (Almost) n’est pas parfait. Il s’adresse évidemment à ceux qui connaissent et apprécie la dame (même si on rappelle qu’il est lisible sans être un expert !), et on ressent comme un goût de trop peu vers la fin.

En dehors de cela, le style est dynamique, simple, plaisant à tel point que le livre se lit très facilement. Il permet de découvrir certaines facettes de la jeune actrice que l’on ne connaît pas toujours comme son manque maladif de confiance en elle, son côté un peu névrosée et sa fragilité qui tranchent avec le dynamisme que l’on voit dans ses vidéos. Au delà de l’histoire de Felicia Day, c’est avant tout un appel à laisser s’exprimer votre créativité et à poursuivre vos rêves sur le web. Ce livre m’a tout simplement donné envie de créer et d’amuser comme rarement auparavant.

C’est enfin un regard unique sur l’émergence du web 2.0 et du tout connecté. Felicia Day, créatrice et entrepreneuse, l’a vécu et en est un témoin privilégié qui nous permet de voir ce que c’était que de vivre cette révolution de l’intérieur. Bref, que vous soyez geek, amateur de contenu vidéo sur YouTube, créateur dans l’âme, ou simple fan de The Guild, You are never weird on the internet (Almost) est un livre à lire, ne serait-ce que pour en ressortir avec la patate et une féroce envie de créer à votre tour.

Critique de You are never weird on the internet (almost) de Felicia Day
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    Les points positifs :
  • Un style dynamique, drôle et accrocheur
  • Découvrir une femme atypique et fragile
  • Les coulisses de The Guild
  • Un bel appel à la créativité
  • Un point de vue passionnant sur la naissance du web moderne
    Les points négatifs :
  • Il manque la naissance de Geek and Sundry !
  • Quand est-ce qu'elle en écrit un autre ?
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8.5
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