Assassin’s Creed Unity : notre entrevue avec Laurent Turcot, conseiller historique sur le jeu

Laurent Turcot
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La sortie du très attendu Assassin’s Creed Unity, fixée au 11 novembre (13 novembre en Europe) approche à grand pas et avec elle notre soif d’en savoir plus sur ce nouvel épisode de la saga.

Comme vous le savez certainement, Unity se déroule à Paris, pendant la Révolution Française. Le contexte, l’ambiance et la fidélité historique ont toujours été au cœur de la saga et sont les choses qui me font revenir à chaque épisode. C’est pourquoi nous avons voulu en apprendre plus sur le Paris de la Révolution, sur l’ambiance du terrain de jeu et sur les personnes qui ont travaillé à l’édification de ce Paris virtuel.

Nous avons donc posé nos questions à Laurent Turcot, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières et surtout spécialiste de la Révolution Française, qui a travaillé ces dernières années, avec Ubisoft, sur l’aspect historique du jeu pour nous livrer une ville la plus fidèle possible à la réalité de l’époque.

Parlez-nous de vous. Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous devenu spécialiste de la Révolution française ? Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur un jeu vidéo ?

Laurent Turcot (LT): Après une thèse en histoire réalisée à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris soutenue en 2005 qui portait sur la promenade à Paris au 18e siècle, j’ai obtenu un poste de professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières en 2008. Puis, j’ai développé mes recherches sur les loisirs et, naturellement, je me suis intéressé à la Révolution, notamment aux lieux de loisirs à Paris. J’ai été contacté par Ubisoft à la suite de la publication d’un livre que j’ai dirigé sur l’histoire de Paris du 16e au 18e siècle (Les Histoires de Paris, 16e-18e siècles, Hermann 2012), donc en plein dans le sujet pour le nouveau Assassin’s Creed, mais ça, je ne le savais pas. On m’a alors sollicité comme expert sur le jeu.

Assassin Creed Unity - Ubisoft 2

En quoi consiste votre travail pour Ubisoft précisément?

LT: Dans un premier temps, j’ai été appelé à donner une formation de 6 heures en anglais à l’équipe de Toronto sur la vie quotidienne à Paris à l’époque de la Révolution. J’ai alors évoqué la rue, la violence, la médecine, la prostitution, la politesse, la nuit, les cafés, les restaurants, la saleté, le bruit, les chansons, les animaux, etc. bref, le spectre a été très large. Ensuite, on m’a sollicité pour écrire des notices biographiques et encyclopédiques sur tous les aspects de la ville et de la vie de Paris qui se retrouve dans le jeu et enfin, de manière ponctuelle, de confirmer certaines données, comme les vêtements, les bâtiments ou les objets (les drapeaux, les lunettes ou les pavés). On est donc entré dans l’infiniment petit pour que la reconstitution soit la plus fidèle possible.

Vous êtes-vous rendu à Paris dans le cadre de vos recherches pour le jeu ?

LT : J’y suis allé au mois de mars 2014 pour compléter des recherches sur certains éléments. J’ai pris, au cours des dix dernières années, des milliers de photos d’archives, de plans topographiques, de peintures, de gravures ou de livres, mais encore là, il est impossible de tout couvrir. Il a donc été nécessaire d’y retourner et de chercher.

En quoi le Paris de la Révolution française est-il différent du Paris que nous connaissons ?

LT :  Celui qui se promène dans le Paris du 21e siècle doit bien chercher pour trouver les traces de la Révolution car, avec la destruction du vieux Paris par le Baron Hausmann lors de la seconde moitié du 19e siècle, il ne reste plus grand chose. La Bastille, symbole de la révolution, a été détruite dès le 15 juillet 1789. Le pèlerinage le plus significatif serait d’aller sur la Place de la Bastille et d’observer la ligne tracée avec des pierres sombres que formaient les limites de la prison de la Bastille ou encore, pour les plus téméraires, emprunter la ligne 1 du métro en espérant, par le plus grand des hasards, que la rame de métro tombe en panne et que le siège sur lequel vous êtes s’arrête exactement à l’emplacement où se trouve un plaque commémorative et que vous ayez assez de lumière pour y lire que c’est ici que se trouvait la prison de la Bastille. Un investissement de temps et de conjonctures sans doute trop dispendieux pour le touriste.

Assassins Creed Unity District Ile De La Cite

Avez-vous du faire des sacrifices en termes architecturaux pour mieux vous adapter au gameplay de la série ? Par exemple retirer des éléments architecturaux courants à l’époque mais qui aurait gêné la fluidité de la progression du héros lors des phases de gameplay.

LT : En fait, ce n’est pas moi qui détermine et opère les choix. De mon côté je livrais tout le matériel historique que j’avais et il y en a eu beaucoup. C’est Ubisoft qui, en fonction de l’histoire, a décidé d’insister sur tel ou tel bâtiment.

Dans quelle mesure avez-vous participé à la reproduction de la Cathédrale de Notre-Dame qui a apparemment demandé 2 ans de travail au studio ?

LT : La grande difficulté pour l’équipe a été de reconstituer Notre-Dame avant tous les changements apportés par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc vers 1840. La cathédrale de la Révolution n’est pas celle d’aujourd’hui, il a donc été nécessaire de rassembler toutes les peintures et gravures représentant l’intérieur et l’extérieur de la cathédrale, voilà pourquoi le travail a été si long. Cela étant, c’est la première fois que le monument est reconstitué avec autant de fidélité.

Quels autres monuments emblématiques de Paris sont présents dans Assassin’s Creed Unity ? Ont-ils tous bénéficié d’autant de travail ?

LT : On peut penser au Palais du Luxembourg, au Palais des Tuileries (détruit en 1871), à l’Église Saint Sulpice, le jardin des Tuileries, l’Hôtel Dieu, le Grand Châtelet qui tous ont nécessité une attention particulière, mais pas autant que Notre-Dame.

Êtes-vous à l’origine du choix des personnages historiques que nous rencontrerons dans l’aventure (Marquis de Sade, Robespierre, Napoléon, …) où vous sont-ils imposés par les scénaristes ? Avez-vous dû faire des recherches pour les intégrer le mieux possible ?

LT : Non, c’est aux scénaristes de déterminer les personnages qui vont apparaître dans le jeu, mais avec les événements de la Révolution, certains s’imposent, comme Robespierre, Danton, Louis XVI, Napoléon, Saint-Just, etc. J’ai dû fournir le contexte dans lequel ils ont chacun évolué afin que l’histoire semble la plus crédible possible.

Assassins Creed Unity District Le Marais

Le résultat final est-il conforme à votre vision ? Quel effet cela fait de voir le Paris révolutionnaire, sur lequel vous avez travaillé aussi bien pour vos recherches que pour le jeu, prendre vie ?

LT : Le résultat est encore plus impressionnant que ce que j’avais imaginé. Pour la première fois, je vois la ville sur laquelle de travaille depuis des années, c’est un peu comme un rêve éveillé. Jamais mes recherches n’auront connu un tel écho. J’ai vendu mon dernier livre (Le promeneur à Paris au 18e siècle, Gallimard, 2007), à 1000 exemplaires, ce qui est phénoménal pour un tel travail, mais grâce à Ubisoft et Assassin’s Creed Unity, le fruit de ma recherche et de toute la recherche universitaire va entrer dans des millions de foyer !

J’entends bien utiliser cette magnifique reconstitution. Je suis actuellement en train de développer avec Ubisoft un logiciel tiré d’AC Unity qui permettrait, grâce à des séquences animées un peu à la Google Street View, d’entrer dans le Paris de 1789 et de s’y promener nonchalamment pour le simple plaisir de découvrir la ville et d’en profiter. Nous pourrions ainsi remontrer la rue Saint-Antoine en ce 14 juillet 1789, admirer les ouvriers qui sont attablés à leur métier pour ensuite être emportés par la foule. Arrêter, se tourner un instant vers un magnifique immeuble en pierre de taille, parler un peu d’architecture, croiser un cri de Paris, parler de leur fonction dans la ville, puis, se rendre jusqu’à la Bastille et être témoin de la mort du gouverneur De Launay.

Voici ce que pourrait être, après la réalité augmentée, l’enseignement augmenté.

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Benjamin Gautier
Communicant parisien élevé aux Sciences Politiques, je suis avant tout un passionné de jeux vidéo, mais également  un dévoreur de films, de séries, de littérature Science-Fiction, et de culture web. Accessoirement, je suis aussi un transhumaniste à tendance sociopathe, amoureux d'aliens bleues et de sorcières rousses, et fasciné par la simple idée de voir un jour l'humanité coloniser l'espace...