Critique du film Ex Machina réalisé par Alex Garland, un thriller technopsychologique

La robotique, l’intelligence artificielle et la vie artificielle sont des sujets passionnants. Les questions qu’ils nous amènent à nous poser sur notre statut d’être humain le sont encore plus. Nombreux sont les livres ou les films à traiter de ces thèmes, mais malheureusement trop souvent de piètre façon. On se souvient tous de l’adaptation monstrueuse I-Robot tirée du désormais classique Cycle des Robots d’Isaac Asimov, le père philosophique de la robotique actuelle. Plus récemment, on se rappelle également du massacre Transcendance de Wally Pfister. Bref, les bons films sur la robotique sont rares. Trop rares.

Pourtant quand j’ai vu la bande-annonce de Ex Machina et surtout qui le réalisait, à savoir Alex Garland, le scénariste des très étranges Sunshine et 28 jours plus tard, j’ai eu une lueur d’espoir. Huit-clos, ambiance glauque, personnages inquiétants, manipulation, bonne distribution, bon scénariste : tous les bons ingrédients semblaient réunis. Plusieurs longs mois d’attentes ont suivi, mais alors qu’ex Machina s’apprête à enfin sortir en France ce mercredi 3 juin, je vais pouvoir vous parler du meilleur film sur la robotique et l’intelligence artificielle depuis très longtemps.

Synopsis

Caleb (Domhnall Gleeson), 24 ans, est programmateur de l’une des plus importantes entreprise d’informatique au monde. Alors qu’il gagne un concours, il va passer une semaine dans un lieu retiré en montagne appartenant à Nathan (Oscar Isaac), le PDG, mais aussi véritable génie solitaire de son entreprise. Il découvre qu’il va en fait devoir participer à une étrange et fascinante expérience dans laquelle il devra interagir avec la première intelligence artificielle au monde qui prend la forme d’un superbe robot féminin nommé Ava (Alicia Vikander).

Ex Machina - Ava - 2

Un thriller technopsychologique en huit clos

Avant toute chose, parlons du “film” dans le sens du média de divertissement, avant ensuite de nous concentrer sur les différents thèmes qu’il aborde.

Ex Machina, c’est un huit-clos. Ici, point d’action tonitruante, d’explosions à tout-va ou de batailles épiques contre une armée de robot. Tout le film tourne autour du test de Turing. Ce fameux test, du nom du mathématicien Alan Turing, est théorisé en 1950 et consiste à mettre en confrontation verbale un humain avec un ordinateur et un autre humain à l’aveugle. Si l’homme qui engage les conversations n’est pas capable de dire lequel de ses interlocuteurs est un ordinateur, on peut considérer que le logiciel de l’ordinateur a passé avec succès le test. C’est le point à partir duquel l’IA arrive au niveau de l’humain.

Le film est ainsi rythmé par les sessions de conversations entre Caleb et Ava visant à déterminer si elle passe le fameux test en question. Nous sommes donc face à un film quasiment totalement fondé sur ses dialogues et qui laisse pleinement s’exprimer le jeu des acteurs et le talent du scénariste. Chaque tournure de phrase à son importance et alors qu’on pourrait penser que l’ennui allait pointer le bout de son nez, l’écriture subtile et le jeu très juste des acteurs nous fait ressentir à merveille une tension, ou un malaise dans la conversation. Le résultat n’est jamais ennuyeux et a même un côté quasi hypnotique clairement renforcé par la beauté et la candeur d’Ava.

L’autre force du film, c’est son ambiance. Dès la première rencontre entre Caleb et Nathan, un malaise s’installe et va se faire sentir pendant tout le film. Nathan est un personnage à la fois fascinant et étrange qui présente à Caleb une chambre sans fenêtre avec un important dispositif de sécurité avant de lui faire signer un accord de non-divulgation et de lui taper amicalement sur l’épaule. On ne sait jamais comment prendre ce que dit le personnage tant il alterne gestes amicaux et signes d’agacements face aux questions de Caleb. Une scène de danse sortie de nulle part et complètement surréaliste achève de nous enfoncer dans la confusion la plus totale.

Les conversations avec Ava sont du même niveau tant le robot rentre dans un jeu de séduction dérangeant vis-à-vis de Caleb à tel point qu’on en oublie qu’elle est un robot pour ne voir plus que la femme. Ajoutez à cela le fait qu’on sente monter une certaine insolence dans certains de ces questionnements et vous obtenez des scènes où la tension, mais aussi la confusion s’installent rapidement.

C’est vraiment là un des principaux atouts du film : On se retrouve dans une situation où le spectateur, qui s’identifie à Caleb, perd ses repères et ne sait plus à qui il doit faire confiance, provoquant une suspicion constante. Une tension qui trouve sa conclusion dans une scène magistrale aussi belle que déstabilisante.

Ex Machina - Nathan & Caleb

Une véritable réflexion sur la vie artificielle et le genre

Mais Ex Machina, ce n’est pas juste un bon thriller technopsychologique, c’est aussi une superbe réflexion sur la robotique, l’intelligence artificielle et ce qui fait de nous des humains de chair et de sang.

C’est tout d’abord une réflexion sur la naissance de la première intelligence artificielle. On l’a vu, tout le film est articulé autour du test de Turing et vise donc à voir si l’humain peut confondre l’IA avec un autre humain. Néanmoins le test ne s’arrête pas là. Que le robot réussisse à passer pour humain est une chose, mais qu’il démontre l’existence d’une conscience propre en est une autre. L’idée est donc pour Caleb de déterminer ce qu’Ava pense, et justement de savoir si elle pense, réagit et détermine ses actions comme le ferait un humain normal. C’est une des questions principales du film : comment déterminer ce qu’il se passe dans la tête d’autrui ? C’est le coeur des tensions du film : on ne sait pas. Que pense réellement Ava ? Est-elle sincère ? Nathan est-il vraiment le type cool qu’il prétend être ? L’idée de Garland est bien de jouer avec le spectateur qui se débat pour déterminer le vrai du faux. Nous sommes Caleb. Nous essayons de deviner ce qui se passe dans la tête des autres personnages, sans succès. On ressort secoué du film tout simplement parce que le test de Turing, qui parait simple au premier abord, ne répond pas vraiment à la question : le robot a-t-il une véritable intelligence proche de l’être humain ?

Le film est une véritable réflexion sur la sexualité et le genre
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C’est certes un thème plutôt classique dans les films sur l’intelligence artificielle, mais rarement aussi bien travaillé et approfondi.

L’autre sujet particulièrement intéressant du film, c’est son questionnement sur le genre, la sexualité. Ava (Alicia Vikander), bien que laissant apparaître des mécaniques robotiques, est magnifique. À la vue de son joli visage, de ses courbes, ou de sa démarche, on pourrait croire que Garland a cédé au marketing et à décidé de mettre une belle femme dans son film pour attirer un public spécifique. Ne soyons pas naïfs, c’est une des raisons. Ce n’est toutefois pas la raison principale. Caleb pose d’ailleurs la question à Nathan au cours d’une de leurs nombreuses conversations: pourquoi une femme ? Pourquoi donner une enveloppe féminine et attirante à la première IA alors qu’elle est par essence asexuée ? La réponse de Nathan selon qui la nature tout entière est structurée par cette dualité Male/Femelle est intéressante. Le fait qu’il ajoute également “parce que c’est fun” l’est tout autant. Nous sommes face à un film qui pose la question de notre rapport au genre de notre interlocuteur : comment réagirions-nous face un robot homme ? Femme ? Sans sexe ? C’est aussi la question de l’apprentissage et de l’intégration du genre : comment devient-on homme ou femme ? Autant de questions auxquelles Garland apporte des éléments de réponse, et non pas une seule réponse. C’est une des grandes forces de son film : il n’est pas moralisateur, il pose des questions, vous laissant apporter vos propres réponses en fonction de votre interprétation.

La raison pour laquelle ces thématiques font mouche, allant jusqu’à nous faire oublier que nous regardons un film de science-fiction, c’est justement parce que nous sommes face à une science-fiction crédible, plausible. Ici pas de lois de la Robotique d’Asimov excluant l’usage de la force par un robot sur un être humain. Alex Garland explique d’ailleurs très bien dans une entrevue que rien n’a jamais inscrit dans le marbre ces prétendues lois issues du Cycle des Robots d’Isaac Asimov, et qu’il les considère donc comme nulles et non avenues. De plus, la technologie à l’origine d’Ava découlant du moteur de recherche et de réseaux sociaux appartenant à la société de Nathan apparaît comme plausible quand on sait qu’une société comme Google travaille actuellement activement sur l’intelligence artificielle. Nous sommes dans la science-fiction douce qui pourrait devenir réalité d’ici les 15-20 prochaines années, ce qui renforce considérablement le message du film.

Une distribution 3 étoiles

Mais parlons un peu des personnages et de leurs interprètes. Concrètement tout le film tourne autour de 3 personnes : Caleb, l’innocent codeur, Nathan le génie mystérieux et Ava, l’ève artificielle. Caleb (Domhnall Gleeson) a probablement le rôle le moins profond (et encore…) tant il sert principalement à permettre au spectateur de s’identifier, de s’impliquer dans cette relation. Cela ne veut pas dire pour autant que le personnage est fade. Ses motivations et la fin du film viennent d’ailleurs nous le rappeler. Nathan (Oscar Isaac) quant à lui est dérangeant dès le début du film. À la manière d’un Howard Hugues moderne, on sent le génie dérangé voir malsain vivant dans l’isolation la plus totale. Il est celui par qui tout arrive, le créateur, celui qui se prend pour un dieu, et pourtant on a tendance à se méfier de chacune de ses paroles. Oscar Isaac est d’ailleurs parfait dans ce rôle à la croisée entre le hipster ascétique et maniaque et le mégalomane totalement certain de sa supériorité.  Enfin, Alicia Vikander incarne parfaitement l’androïde ambivalente et séductrice Ava. Que ce soit au niveau des expressions faciales, de l’élocution ou plus simplement de la démarche où elle réussit à merveille à retranscrire son statut de machine au bord de l’humanité.

Ils réalisent à eux trois un sans-faute et une performance à laquelle le film doit beaucoup.

Ex Machina - Acteurs

Conclusion

Vous l’aurez sans doute compris, je pourrais vous parler de Ex Machina pendant des heures, et encore, je ne vous ai pas parlé de la musique, douce, qui colle parfaitement à l’ambiance ou de la photo froide, voire clinique. Bref il y a encore plein de choses à dire, mais je vais me limiter !

Véritable coup de coeur, le film réussit à aborder des thèmes passionnants de manière intelligente via une science-fiction totalement plausible. Bien écrit, bien réalisé, et surtout bien joué, Ex Machina est un de ces films qui fait réfléchir tout en passant un excellent moment de cinéma. Alex Garland est un nom à retenir et à suivre.

Critique du film Ex Machina réalisé par Alex Garland, un thriller technopsychologique
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    Les points positifs :
  • Un casting parfait
  • Un script avec des thématiques passionnantes enfin bien traitées
  • Une ambiance réellement dérangeante
  • Une science-fiction douce qui renforce le message
  • Une musique discrète mais parfaitement dans le ton
    Les points négatifs :
  • Ne vous attendez pas à de l'action à tout-va
  • Un brin élitiste dans ses dialogues
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Benjamin Gautier
Communicant parisien élevé aux Sciences Politiques, je suis avant tout un passionné de jeux vidéo, mais également  un dévoreur de films, de séries, de littérature Science-Fiction, et de culture web. Accessoirement, je suis aussi un transhumaniste à tendance sociopathe, amoureux d'aliens bleues et de sorcières rousses, et fasciné par la simple idée de voir un jour l'humanité coloniser l'espace...